Le calendrier inclusif : 25 idées reçues à questionner sur la laïcité, l’égalité femmes-hommes et le handicap !
La notion de « prosélytisme », souvent source de malentendus, désigne la démarche visant à essayer de convaincre autrui de rejoindre ses propres croyances ou convictions.
Si une telle attitude peut déjà questionner lorsqu’on se trouve dans l’espace public, les enjeux sont encore plus complexes au sein d’un collectif de travail. Entre respect de la liberté d’expression et protection des libertés d’autrui, comment appréhender le prosélytisme au travail ?
Comprendre le prosélytisme
Bien que le terme puisse aujourd’hui être employé plus largement, son origine se rapporte essentiellement aux convictions religieuses. Le mot « prosélytisme » dérive du grec proselytos, signifiant « nouveau venu » ou « converti ». Initialement lié au judaïsme antique, dans lequel il désignait les non-Juifs adoptant la foi mosaïque, le « prosélytisme » traduit en action volontariste a par la suite joué un rôle majeur dans l’expansion du christianisme et de l’islam, parmi d’autres cultes.
Concrètement, le prosélytisme désigne donc l’ensemble des actions visant activement à convaincre autrui d’adopter certaines croyances ou opinions, qu’elles soient de nature religieuse, politique, philosophique ou idéologique. Cela peut se traduire par des discussions argumentées, la distribution d’outils de communication (livres, tracts, etc.), le témoignage personnel, l’invitation à des événements ou encore, dans certains cas, des tentatives répétées d’engager une conversation sur ces sujets malgré les refus exprimés.
Principales idées reçues
Il est nécessaire de rappeler que le simple port d’un signe religieux – aussi visible soit-il – ne peut constituer un acte de prosélytisme en soi. Ainsi, comme l’a rappelé le Conseil d’État en 1996, seuls les comportements peuvent être qualifiés de prosélytes.
En France, nombreuses sont les personnes persuadées que la laïcité interdit tout comportement prosélyte dans l’espace public, mais en réalité il n’en est rien et un simple exercice de comparaison permet de le comprendre. En effet, le principe qui permet de faire du prosélytisme librement dans la rue est le même que celui qui autorise à distribuer des tracts à l’occasion d’une campagne électorale.
Essayer de convaincre ou de persuader autrui d’adhérer à une conviction religieuse, politique, syndicale… Tout cela participe du libre débat d’idées, et c’est permis !
Distinguer prosélytisme simple et abusif : l’apport de la CEDH
Il faut cependant clarifier dès le départ la distinction clé que le droit établit entre la promotion respectueuse de ses convictions et une démarche de prosélytisme jugée abusive. C’est la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), dans son arrêt fondamental Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, qui a initié cette distinction en droit.
Elle reconnaît que « témoigner » ou tenter de convaincre autrui fait partie de la liberté de religion (garantie au titre de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme). Ce type de comportement relève du prosélytisme simple, qui s’exerce dans le respect réciproque, sans coercition ni manipulation.
En revanche, la CEDH reconnaît également l’existence d’un prosélytisme abusif, qui utilise des moyens inappropriés : pressions psychologiques, contrainte, offre d’avantages matériels ou sociaux, manipulation, exploitation de la vulnérabilité, fraude, voire harcèlement ou intimidation. Ce type de prosélytisme porte atteinte à la liberté et à la dignité d’autrui et appelle des mesures de restriction.
Au travail, le prosélytisme abusif peut se manifester par une insistance répétée malgré un refus clair, des tentatives de persuasion agressives ou culpabilisantes, ou l’utilisation d’une position hiérarchique pour influencer un·e subordonné·e. De tels comportements peuvent gravement détériorer le climat social et la cohésion d’équipe.
Prosélytisme au travail : libertés fondamentales et limites nécessaires
Le droit français garantit aux personnes le respect de leurs libertés fondamentales : liberté de conscience, liberté de manifester ses convictions (notamment religieuses), liberté d’expression, etc. Ces libertés trouvent également à s’appliquer dans le cadre professionnel.
Cependant, elles ne sont pas absolues et des limitations peuvent être imposées dans le but de protéger les droits et libertés d’autrui, la santé, la sécurité, ou assurer le bon fonctionnement de l’entreprise ou du service, par exemple. Néanmoins, toute restriction doit être justifiée par un motif légitime, proportionnée dans son application, et bien sûr non-discriminatoire.
Le cadre professionnel, avec ses relations hiérarchiques et sa proximité parfois subie, est un terrain propice aux frictions que peut engendrer une tentative de persuasion insistante. L’enjeu est donc de déterminer où se situe la frontière entre l’expression légitime d’une opinion et une démarche qui devient intrusive ou perturbatrice.
Le prosélytisme au travail, dans l’entreprise privée
Dans les entreprises privées, l’employeur a une obligation de sécurité de résultat concernant la santé physique et mentale de ses salarié·es (Code du travail, Art. L4121-1). Cela inclut la protection contre les agissements susceptibles de créer un environnement de travail hostile ou dégradant, comme le prosélytisme au travail lorsqu’il devient abusif.
La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : si la liberté de manifester ses croyances au travail est protégée, elle ne doit ni interférer avec l’exécution du contrat de travail, ni troubler le fonctionnement de l’entreprise, ni porter atteinte aux droits des autres salarié·es.
Un arrêt de la Chambre sociale du 6 juillet 2004 a ainsi validé le licenciement d’un salarié dont le comportement prosélyte (religieux en l’espèce, mais le raisonnement est transposable) créait des tensions et perturbait l’équipe. Le prosélytisme abusif peut donc constituer une faute justifiant une sanction disciplinaire, allant jusqu’au licenciement.
Management et prosélytisme : à ne jamais combiner !
Cette analyse doit nécessairement être abordée de manière différente lorsque le prosélytisme émane d’un·e supérieur·e hiérarchique envers son ou sa subordonné·e. Dans une telle configuration, toute tentative de persuasion recouvre en réalité une dimension intrinsèquement abusive. Le lien de subordination fausse en effet la relation : le ou la salarié·e peut difficilement refuser ou exprimer un désaccord franc sans craindre, consciemment ou non, des répercussions négatives sur son évaluation, ses missions, son évolution de carrière ou même le maintien de son emploi.
L’exercice de son influence, en tant que manager, afin de susciter l’adhésion de ses collaborateur·rices à ses propres convictions est une entorse évidente aux principes de base du management intègre et respectueux. Ceux-ci invitent au contraire à entretenir une juste distance professionnelle, afin de sécuriser l’environnement de travail de ses équipes et de préserver leur liberté de conscience, en s’interdisant strictement toute forme de pression.
La spécificité de l’emploi public : principe de laïcité et neutralité
La situation est différente dans les institutions publiques (quelles qu’elles soient) et pour les organismes privés à qui est déléguée l’exécution d’une mission de service public. En effet, le personnel de ces structures est tenu de respecter le principe de laïcité, ainsi qu’une obligation de stricte neutralité dans l’exercice de leurs fonctions.
Les agent·es doivent ainsi s’abstenir de manifester leurs convictions religieuses, politiques et philosophiques au travail, afin de manifester de manière concrète la neutralité de l’administration et son impartialité à l’égard de tou·tes les usager·ères du service public.
Stricte interdiction du prosélytisme au travail pour les agent·es
Par conséquent, toute forme de prosélytisme au travail est strictement interdite aux agent·es, que celui-ci soit à l’intention d’usager·es ou dirigé vers leurs collègues. En l’an 2000, par son fameux avis Demoiselle Marteaux, le Conseil d’État a réaffirmé sans détour que le fait pour un·e agent·e de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations.
Le Conseil d’État a également eu l’occasion de confirmer l’imposition de sanctions disciplinaires pour des faits de prosélytisme. Dans un arrêt du 19 février 2009, il a ainsi validé une sanction d’exclusion temporaire pour un agent ayant distribué aux usager·es, au sein du service public, de la documentation à visée prosélyte.
Conclusion : Trouver le juste équilibre
La question du prosélytisme au travail invite l’encadrement (en particulier dans le secteur privé) à la recherche constante du juste équilibre entre protection des libertés individuelles et préservation d’un environnement de travail serein et fonctionnel pour tou·tes. Le droit offre un cadre : il protège la liberté d’expression mais permet des restrictions justifiées pour prévenir les abus, assurer le bon fonctionnement des collectifs et protéger les droits et libertés d’autrui.
Pour prévenir les dérives, la meilleure méthode demeure la clarification des règles applicables en interne, mais également l’évolution vers un management inclusif, ouvert au dialogue et réactif en cas de comportement abusif. En somme, il s’agit de cultiver une culture du respect mutuel, tout en fixant des limites claires pour protéger chacun·e.