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Le Premier ministre québécois Philippe Couillard appelle en janvier 2017 les élus à bien peser leurs mots lors des prochains débats sur la laïcité, l’identité et l’intégration. Ils n’auront finalement pas lieu avant l’été, le temps de surmonter le choc de l’attentat contre une mosquée dans la ville de Québec qui a fait six morts et dix-neuf blessés le 29 janvier dernier. La fusillade a été revendiquée par Alexandre Bissonnette, un jeune homme de 27 ans affichant des opinions politiques d’extrême-droite.

À l’Assemblée nationale québécoise, la tuerie a ravivé des débats entre les libéraux au gouvernement et les « péquistes » (députés du Parti Québécois) partisans d’une laïcité plus restrictive. En 2014, l’idée péquiste d’instaurer une « charte des valeurs québécoises », qui contenait notamment des interdictions sur le port de signes religieux pour les agents publics, a provoqué bien des tensions. Le gouvernement péquiste a proposé des élections anticipées afin d’avoir tout le soutien nécessaire pour voter des lois. Il s’est retrouvé minoritaire face aux libéraux. Aujourd’hui encore, les tensions sont palpables entre les deux factions politiques. Les libéraux estiment que le débat sur la charte des valeurs a « libéré » une parole haineuse et stigmatisante pour certains concitoyens québécois, entraînant des passages à l’acte. Pour les péquistes, aujourd’hui dans l’opposition, il est un peu facile de les taxer d’intolérance quand ce sont précisément les libéraux qui, à force d’accommodements religieux, ont créé un climat d’exaspération dans la population.

Les « accommodements raisonnables » ont fait l’objet d’un rapport rédigé par le philosophe Charles Taylor et l’historien Gérard Bouchard en 2008. À l’époque, les deux spécialistes étaient tombés d’accord sur une proposition d’interdire les signes religieux aux représentants de l’État qui exerçaient des fonctions « coercitives ». Pour Charles Taylor, le débat a dérapé lorsqu’il a été question d’élargir l’interdiction dans d’autres fonctions de l’État. Dans le contexte actuel, marqué par la tuerie dans la mosquée, les deux rédacteurs du rapport ne sont plus d’accord. Charles Taylor soulignant qu’il réagit peut-être sous le coup de l’émotion, propose de laisser de côté ce débat clivant : « J’estime qu’on ne peut pas se payer le luxe de poser de nouveaux gestes qui renouvelleraient cet effet de stigmatisation, quelles que soient les bonnes intentions de certains de leurs défenseurs. Ne rouvrons pas les plaies à nouveau. Laissons toute la place au temps de la réconciliation ».

(Re)découverte d’outils juridiques

En France aussi, des interrogations surgissent, nourries par des actualités choquantes comme le reportage sur un café de Sevran, où les femmes ne sont pas les bienvenues, ou encore à Tremblay-en-France, où des femmes voilées ont été chassées d’un restaurant.

Faut-il pour autant invoquer la laïcité dans ces différentes affaires ? L’Observatoire de la laïcité répond dans un avis, publié le 14 février, intitulé « Rappel du cadre légal permettant de sanctionner les agissements contraires aux exigences minimales de la vie en société, en particulier dans des situations pour lesquelles le principe de laïcité est invoqué à tort ». Dans ce document très formel, mais illustré par des exemples concrets, on (re)découvre que la justice française a traité bien des affaires concernant des comportements inacceptables… mais pas en statuant sur « la laïcité ». Refuser de servir une boisson alcoolisée à un client en raison de sa religion (réelle ou supposée) ? Un « refus de vente » selon la décision d’un tribunal strasbourgeois en 1974. Quant au refus de serrer la main de ses collègues femmes en raison de ses convictions, il peut constituer une discrimination, voire un élément matériel de harcèlement moral. D’autre part, le document rappelle que certaines agressions, notamment verbales, sont passibles d’amendes.


Pour aller plus loin : 

Article initialement publié dans la lettre LaïCités
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