Les prestataires privés de l'État et des collectivités sont-ils tenus à la neutralité religieuse dans le cadre de leurs prestations ?
Valentine Zuber, historienne
Elle est directrice d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE-PSL), membre du Groupe sociétés religions laïcité (GSRL – CNRS) et personnalité qualifiée à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Elle est l’auteure de La laïcité en débat, au-delà des idées reçues (Éditions Le Cavalier Bleu, 2017) et de La laïcité en France et dans le monde (La Documentation photographique, 2017).
Pourquoi la laïcité est-elle en débat aujourd’hui ?
Valentine Zuber : Le débat actuel sur la laïcité est très politique. On a tendance à aborder la laïcité comme une valeur républicaine détachée de toute contingence, un principe français donné de toute éternité. Or, la forme laïque française a une histoire : elle est le fruit d’une construction progressive, marquée par des bricolages et des tentatives, mais aussi par des choix politiques. La laïcité est issue de plus de deux siècles de débats passionnés, commencés au lendemain de la Révolution française et qui se poursuivent encore jusqu’à aujourd’hui. La forme actuellement prise en France par le principe de laïcité est l’aboutissement de réflexions philosophiques et de choix politiques qui se sont effectués dans un climat extrêmement conflictuel. La laïcité française aurait pu prendre une autre orientation : à quelques jours du vote de la loi de 1905, on savait que la séparation serait inéluctable, mais on ne savait pas du tout quelles en seraient finalement les modalités retenues. En revenant aux débats de l’époque, on se rend compte que les polarisations politiques qui s’y étaient fait jour se reproduisent de manière quasi identique dans les débats actuels. Avec des modalités très différentes bien sûr, puisqu’il était essentiellement question de l’Église catholique au moment de la loi de séparation, et qu’actuellement, c’est plutôt sur la place de l’islam, une religion dont la pratique se caractérise souvent par la visibilité, qui pose « problème ». Mais en 1905, la visibilité de l’Église catholique dans l’espace public était tout aussi questionnée que celle de l’islam de nos jours. Les termes du débat et les arguments produits par les différentes sensibilités laïques, d’alors et d’aujourd’hui, résonnent de manière presque analogue…
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