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Directeur de l’Observatoire de l’Education de la Fondation Jean Jaurès, Responsable des formations au Mémorial de la Shoah et professeur d’histoire-géographie au collège depuis deux décennies, Iannis Roder plaide pour un changement de perspective dans l’enseignement de la Shoah. Et tire la sonnette d’alarme: il y a urgence selon lui à repenser les programmes d’histoire, lesquels gagneraient à se concentrer un peu plus sur l’étude des discours de propagande et des mécanismes de haine.

Comment l’enseignement de l’histoire et notamment de la Seconde Guerre mondiale peut aider, selon vous, à lutter contre le discours complotiste ?

Iannis Roder : Le nazisme est une vision complotiste de l’histoire et présente trois grandes caractéristiques. D’abord, la paranoïa, qui fait que les nazis sont intimement convaincus d’être menacés par les juifs depuis la nuit des temps. Une vision de l’Histoire pensée en termes d’affrontement entre « eux » et « nous ». Dans cette vision, la fin de leur monde est proche, ce qui rend nécessaire un affrontement ultime pour la survie.

Les nazis raisonnent ainsi : soit nous les assassinons, soit nous disparaissons.

De fait, l’antisémitisme est la troisième composante importante. L’histoire du nazisme montre qu’il s’agissait d’une vision complotiste « totale », et un puissant moteur d’action. Leur peur panique a poussé les nazis à passer à l’acte, avec des conséquences extrêmement graves puisqu’ils ont entraîné l’Europe dans une guerre qui a fait entre 50 et 60 millions de morts. Je pense donc qu’il faut étudier Mein Kampf, le livre-programme d’Hitler, les textes, les affiches et les films de propagande. Une fois effectué ce travail, on peut passer à l’étude du génocide juif puis à d’autres violences de masse qui présentent des analogies.

Vous retrouvez ces trois éléments – paranoïa, antisémitisme, vision millénariste de l’Histoire (référence à l’Apocalypse où le Jugement Dernier s’accomplit par cycles de mille ans) – dans le discours islamiste, notamment dans celui du Frère musulman égyptien Sayyid Qutb, pendu par le président Nasser en 1966. Sa paranoïa lui faisait voir des « juifs et des croisés » ligués pour détruire l’islam, lequel n’avait pas d’autre choix que de se défendre en leur faisant la guerre. On retrouve là aussi un complotisme de nature antisémite. On peut ainsi montrer aux élèves les invariants, comme justement la paranoïa et l’angoisse de disparition également à l’œuvre dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Cette dernière dimension, bien que moins accentuée dans l’Empire ottoman, est un moteur certain dans le passage à l’acte génocidaire contre les Arméniens en 1915. Depuis que j’ai commencé ce travail, il y a une dizaine d’années, je n’ai plus de problèmes d’antisémitisme dans ma classe car nombre de problèmes naissent d’un sentiment de « monopole de la souffrance » qui serait détenu par les juifs. Cette méthode casse les représentations figées, la concurrence mémorielle et les préjugés, et ouvre la voie à la discussion. A ce sujet, me revient une anecdote. Au lendemain de la tuerie de Mohamed Merah à l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse, un de mes élèves de 14 ans, Youssef, m’a dit ceci : « Il a tué une petite fille parce qu’il était convaincu qu’elle était son ennemie ». Un adolescent avait compris ce que des adultes n’avaient pas vu, à commencer par Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui estimait que le tueur au scooter n’avait pas agi par idéologie.

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