Les prestataires privés de l'État et des collectivités sont-ils tenus à la neutralité religieuse dans le cadre de leurs prestations ?
L’association Débattre en Sorbonne a réuni pour un débat sur la laïcité quatre personnalités qui s’affrontent à ce sujet.
D’un côté, Laurent Bouvet, co-fondateur du mouvement Le Printemps républicain et Pierre Juston, docteur en droit qui intervient régulièrement pour ce mouvement. De l’autre le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco et Radia Bakkouch, présidente de l’association Coexister, régulièrement critiqués par Le Printemps républicain.
Accords de principe
Sur le principe juridique de laïcité, qui allie liberté totale de conscience (croire ou ne pas croire, pouvoir le manifester) dans le respect des lois, la neutralité de l’État et des fonctionnaires, l’égalité de tous les citoyens, les quatre intervenants étaient d’accord.
Même chose sur le fait que chacun est citoyen avant d’être croyant. Pour tous, la laïcité fait partie des valeurs et du « commun ». Comme l’a résumé Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité : « La laïcité est ce qui nous rassemble ».
Pour Pierre Juston, les confusions proviennent du fait que la laïcité peut être envisagée sur trois plans qui peuvent s’entrechoquer : la laïcité du point de vue juridique, la laïcité en tant que combat politique et la laïcité en tant qu’éthique personnelle. Il existe d’autres facteurs de brouillage, selon Laurent Bouvet. Notamment le fait que la laïcité n’est plus un marqueur fort de la différence entre la droite et la gauche – l’extrême droite s’en est emparée fortement depuis 2010. Mais aussi des avis du Comité des droits de l’Homme de l’Onu, qui s’appuient sur la « liberté religieuse » et qui font selon lui du mal à « la liberté de conscience ».
Les dogmes, le consentement et la liberté
Autre point d’inquiétude, la loi de 2004, remise en cause pour Pierre Juston. Radia Bakkouch a défendu l’application de cette loi tout en l’interrogeant : « a-t-elle vraiment protégé les enfants puisque certains sont partis dans des établissements privés où il y a plus d’entre-soi ? Une évaluation serait la bienvenue ».
S’en sont suivis des débats entre Radia Bakkouch et Laurent Bouvet : peut-on être croyant et favorable à l’IVG alors que sa religion l’interdit ? Oui, affirme Radia Bakkouch. Non, car « être croyant, c’est adhérer à un dogme tout entier », selon Laurent Bouvet.
Autre sujet : le degré de consentement des femmes qui portent le voile. « On n’a pas à se positionner, surtout depuis l’extérieur, sur un choix qu’une personne présente tel quel », pour Radia Bakkouch. Pour Laurent Bouvet,
« la liberté ne se résume pas aux choix et au consentement. La liberté est dans le commun, d’ailleurs l’État décide de libertés publiques en France. Il ne s’agit pas de « civil liberties » individuelles à défendre contre l’État, à l’américaine. Si vous appliquez l’individualisme, il faut l’appliquer partout, même au niveau économique, sinon ce n’est pas cohérent ».
Dernier point d’achoppement : les entorses à la laïcité. Si chacun estime qu’elles sont intolérables, Pierre Juston reprochait à l’Observatoire de la laïcité de ne pas les prendre assez à bras-le-corps. Jean-Louis Bianco a rappelé qu’il s’agissait de phénomènes minoritaires, mais préoccupants dans certains territoires. Pour les enrayer, il invite à un travail de fond sur la mixité et sur le faire-ensemble pour mettre en pratique le vivre-ensemble.