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sainte-genevieveSainte-Barbe des sapeurs-pompiers, Saint-Martin des policiers, Sainte-Geneviève des gendarmes… En France comme ailleurs, de nombreuses professions célèbrent leur saint·e patron·ne le jour de sa fête. Mais une telle pratique est-elle bien autorisée pour les agents publics, qui sont pourtant tenus à la neutralité en matière religieuse ? S’agit-il au contraire d’atteintes à la laïcité ?

Chaque 26 novembre, il se tient en France des célébrations officielles à l’occasion de la Sainte-Geneviève, sainte patronne des gendarmes, de même que le 4 décembre pour la Sainte-Barbe, sainte patronne des sapeurs-pompiers. Les gendarmes bénéficient même, depuis 2016, d’un jour de congé supplémentaire à cette occasion.

Neutralité des agents, des services et des bâtiments publics… sauf exception !

Comme le rappelle le Code général de la fonction publique et en vertu du principe de laïcité, il est interdit aux agents publics de manifester leurs convictions religieuses (ainsi que politiques et philosophiques) dans l’exercice de leurs fonctions, conformément à leur obligation de neutralité. L’article 2 de la loi de 1905 portant séparation des Églises et de l’État impose aux services publics de ne marquer aucune préférence envers un culte.

La justice administrative tient néanmoins compte des traditions et coutumes locales dans son interprétation du droit, admettant ainsi parfois des dérogations à la règle. Par exemple, le Conseil d’État considère qu’il peut être autorisé d’installer une crèche de Noël dans une mairie, sous certaines conditions dont l’existence d’une tradition locale ancrée. Ainsi, les communes de Provence peuvent continuer à exposer les santons traditionnels de la région.

Une jurisprudence mouvante

L’organisation de célébrations pour la Sainte-Geneviève des gendarmes ou la Sainte-Barbe des sapeurs-pompiers semble pouvoir entrer dans le cadre de ces « tolérances » liées à la tradition et à l’histoire. C’est en tout cas l’interprétation adoptée par le tribunal administratif de Nîmes lorsqu’il a été saisi à ce sujet en 2021, estimant que la neutralité du service public était respectée, tant que l’invitation à ces cérémonies était facultative et relevait d’une tradition « festive, participant à la cohésion et à la représentation de l’institution ».

Plus récemment, une décision du tribunal administratif de Lyon est venue apporter de la précision et de la nuance dans l’appréciation de la légalité de ces fêtes patronales. Ainsi, le tribunal indique tout d’abord que « bien qu’elle présente un caractère religieux, la Sainte-Geneviève représente également un symbole traditionnel associé aux valeurs de courage, d’engagement et de dévouement ». L’organisation de festivités par la gendarmerie le 26 novembre ne constitue donc pas une entorse au principe de laïcité.

En revanche, le tribunal a constaté plusieurs irrégularités dans l’organisation de cette fête patronale, parmi lesquelles l’organisation d’un office religieux par la gendarmerie, la « haie d’honneur composée de plusieurs militaires » sur le parvis de l’église, et le fait que les autorités aient été « accueillies et placées dans l’église par les représentants du commandement de la gendarmerie ». Le tribunal « juge en conséquence qu’en tant qu’elle comporte l’organisation de cet office religieux, la décision de célébrer la Sainte-Geneviève méconnaît le principe de laïcité ».

Des « inventions » de la tradition ?

Si la Sainte-Barbe des sapeurs-pompiers paraît relever d’une tradition véritablement ancienne, la Sainte-Geneviève des gendarmes le semble moins. En effet, Geneviève n’a été déclarée sainte patronne des gendarmes qu’en 1962, comme l’indique le site officiel du magazine de la Gendarmerie nationale, qui relate par ailleurs – sans les mettre en perspective – les « miracles » qu’elle aurait accomplis. Quant à la Saint-Martin des policiers, elle n’a que 30 ans, comme le rappelle L’Yonne républicaine par une formule étonnante :

« Depuis 1993, saint Martin a été reconnu patron des policiers de France par la Conférence des évêques de France et le ministre de l’Intérieur. »

« Zones grises » de la laïcité : un héritage de l’histoire

De fait, la Gaule devenue la France a été un pays majoritairement catholique pendant plus de 1 200 ans, ce qui laisse bien sûr des traces profondes dans les mœurs, les usages, les traditions et les coutumes nationales. De nombreux exemples l’illustrent, depuis le sapin de Noël (d’abord païen, puis christianisé et finalement sécularisé) jusqu’à la galette des rois ; depuis le poisson dans les cantines le vendredi jusqu’au calendrier des jours fériés.

Malgré l’ensemble des mesures de laïcisation des institutions publiques mises en place depuis plus d’un siècle, cet héritage demeure et vient parfois percuter l’idée d’un service public qui appréhenderait le fait religieux avec une absolue neutralité.

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