Les prestataires privés de l'État et des collectivités sont-ils tenus à la neutralité religieuse dans le cadre de leurs prestations ?
1 – “La radicalisation, ça ne concerne que les musulmans”
Le sociologue Farhad Khosrokhavar définit la radicalisation comme la conjonction d’une idéologie extrême et d’un passage aux actes violents. Cette définition pourrait s’appliquer aux bouddhistes extrémistes birmans qui, encouragés par le moine Wirathu surnommé le « Ben Laden bouddhiste », s’attaquent aux musulmans Rohingyas.
Au collège des Bernardins, lieu de culture et d’étude qui abrite notamment l’Académie catholique de France, un programme d’étude de la radicalité et des nouveaux fondamentalismes a été lancé dès 2014, avant les attentats de Paris. Les résultats de ce séminaire ont été dévoilés durant un colloque en mars 2017. Pour les théologiens et universitaires qui ont étudié ces phénomènes, le fondamentalisme n’est pas un phénomène nouveau ni spécifique à l’islam : « il se trouve en germe dans la jalousie qui fit de Caïn le premier meurtrier de l’humanité ». Caïn est un personnage qu’on retrouve dans l’Ancien testament et dans le Coran, il est donc commun aux religions abrahamiques. Dans la conclusion de ce programme de recherche, le fondamentalisme se caractérise « par un refus résolu de penser ensemble la foi et la culture, mais aussi le respect de la loi avec le devoir de justice ». La radicalité est décrite comme n’étant « pas en soi une maladie. Elle est souvent la marque d’une soif de sens à laquelle l’État n’est pas en mesure de répondre ». Ils proposent notamment une plus grande association entre l’État et la société civile et une formation à la culture éthique et religieuse.
2 – “Les radicalisés sont incultes ou peu éduquées”
Les entretiens menés par les chercheurs Bilel Ainine et Xavier Crettiez, auteur des Soldats de Dieu, Paroles de djihadistes incarcérés (Fondation Jean Jaurès-L’Aube, 2017), tendraient plutôt à montrer le contraire.
Certains des interrogés étaient diplômés du supérieur, d’autres en train de terminer un cursus universitaire depuis la prison. Plusieurs radicalisés emprisonnés leur ont brandi Les Origines du totalitarisme d’Hannah Arendt, un livre de philosophie assez difficile à lire. Un des djihadistes incarcérés leur a d’ailleurs parlé des travaux sur la radicalisation de l’islamologue François Burgat – qui estime que ce processus se nourrit beaucoup de l’anticolonialisme – et leur a expliqué en quoi cette lecture, très personnelle, l’avait conforté dans ses convictions. D’autre part, dans la plupart des témoignages, les radicalisés exècrent « l’ignorance », notamment religieuse, citent beaucoup de hadiths (paroles et faits rapportés du Prophète) et de versets coraniques (rarement en entier, ils ne gardent souvent qu’un morceau de phrase).
3 – “Ils détestent uniquement l’Occident et ses valeurs”
Bilel Ainine et Xavier Crettiez expliquent que la figure de l’ennemi est plurielle pour les djihadistes, mais que l’Occident n’est pas particulièrement rejeté par la vingtaine de prisonniers qu’ils ont interrogés. Leur « ennemi total » est en fait plutôt la figure du musulman chiite. Les chercheurs rapportent que les chiites sont considérés comme des ennemis « religieux – ils ont trahi l’islam sunnite et révèlent leur nature de renégats – et des ennemis politiques, incarnés par le régime de Damas, d’obédience chiite, responsable des massacres contre les populations sunnites d’Irak et de Syrie » (Soldats de Dieu, Paroles de djihadistes incarcérés Fondation Jean Jaurès-L’Aube, 2017, page 109).
Un certain nombre de radicaux exècrent aussi le régime saoudien, accusé de corrompre le message religieux à des fins politiques. L’un d’eux indique aussi détester Daech, dont il trouve que les adeptes sont hypocrites et ne respectent pas les règles religieuses qu’ils imposent aux habitants des villes dont ils s’emparent.