skip to Main Content

Les signataires de la tribune : manifeste contre le nouvel antisémitisme, publiée le 2 mais 2018 dans le journal Le Parisien, pointent « la radicalisation islamiste – et l’antisémitisme qu’il véhicule » et demandent que :

« les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémite catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime ».

Par ces mots très forts, les signataires souhaitaient alerter l’opinion publique sur la gravité des crimes antisémites récents (Sarah Halimi en 2017 – voir LaïCités n°10 – et Mireille Knoll début 2018 – voir LaïCités n°17).

Cette tribune a été initiée par Philippe Val (ex-directeur de Charlie Hebdo) et signée par près de 300 personnalités dont l’ex-président de la République Nicolas Sarkozy, actuel chef du parti Les Républicains Laurent Wauquiez, l’ex-premier ministre Manuel Valls, l’ex-maire de Paris Bertrand Delanoë. On compte aussi des intellectuels comme Elisabeth Badinter, Julia Kristeva, Antoine Compagnon, des artistes comme Joann Sfar, Gérard Darmon ou Charles Aznavour ou des religieux (dont 3 imams), notamment Mgr Joseph Doré, le Grand Rabbin Haïm Korsia ou l’imam Hassen Chalghoumi, parmi les signataires.

La version publique de la tribune a recueilli environ 15 000 signatures en moins de 24 heures.

Qu’est-ce que le « nouvel antisémitisme » dont il est question ?

Dans différents travaux de recherche, le « nouvel antisémitisme » – appelé « nouvelle judéophobie » par Pierre-André Taguieff – s’appuie sur un amalgame entre les juifs, les Israéliens et les sionistes. Cet amalgame est souvent mobilisé par des islamistes radicaux ainsi que des personnalités de l’extrême gauche engagées sur le conflit israélo-palestinien. La « nouvelle judéophobie » serait très présente chez les migrants et descendants de migrants maghrébins qui s’identifieraient davantage à la cause palestinienne. Ce « nouvel antisémitisme » ne repose donc plus ni sur un antijudaïsme chrétien (qui reprochait aux juifs d’avoir crucifié Jésus), ni sur un négationnisme de la Shoah, ni sur l’idée d’une supériorité d’une race par rapport aux autres (racisme biologique).

Il est clair que « l’évolution des actes antisémites constatés apparaît davantage liée aux soubresauts du conflit israélo-palestinien depuis les années 2000 (Seconde Intifada) », selon l’enquête annuelle de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNCDH). Cependant, cette enquête, qui mesure les opinions racistes, antisémites et xénophobes, montre que la « nouvelle judéophobie » est minoritaire. Les préjugés antisémites traditionnels (argent, pouvoir, communautarisme) persistent et s’expriment dans les crimes récents.

Une tribune qui ne fait pas complètement l’unanimité

Si l’intention de ce texte contre l’antisémitisme est globalement saluée, certains commentateurs ont émis des réserves à son propos. C’est le cas du journaliste Claude Askolovitch qui analyse dans Slate : « tout texte collectif est un piège. Il s’imprègne des obsessions de ses premiers auteurs, sous la justesse de sa cause. Comment ne pas rejoindre un texte contre l’antisémitisme, quand depuis les années 2000, des juifs ont subi la violence et l’opprobre ? […] Faut-il s’abstraire pour une phrase ? Mais il ne s’agit pas d’une seule phrase mais d’une logique. Elle est attirante et dévastatrice. Elle fait de la lutte pour les juifs une composante du combat identitaire français, et cette identité exclut. Elle s’énonce dans un syllogisme : La France, sans les juifs, ne serait pas elle-même ? Les juifs, de musulmans, sont les victimes ? La France, par ces musulmans, ne sera plus la France. Cette conclusion hante nos débats et le texte. Le perçoit-on ? La défense du juif implique le refus de l’islam. Le propos est habile ».

Il regrette aussi la comparaison entre le travail fait par les catholiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et la demande des signataires de rendre obsolètes des versets du Coran par des théologiens :

« Il n’existe aucun pape en islam, ni Concile, qui pourrait transformer une religion centralisée. La pratique et le temps ont lavé les scories du Coran, sauf dans les milieux radicaux, précisément, sur lesquels nul n’a d’influence, et certainement pas les institutions. On ne réforme pas, enfin, en assiégeant des croyants. Jules Isaac, parlant au pape, n’accusait pas les individus catholiques. Exigeant de l’islam de France qu’il “ouvre la voie”, le manifeste rend responsable chaque musulman de la violence de quelques-uns ».

Des responsables musulmans, sans contester la réalité de l’antisémitisme, ont rejeté la virulence de cette tribune dont ils estiment qu’elle accable les musulmans et risque de dresser des communautés religieuses les unes contre les autres. De leur côté, une trentaine d’imams ont signé un autre texte dénonçant l’antisémitisme et le terrorisme mardi 24 avril dans Le Monde. Parmi les signataires, Tarek Oubrou de la mosquée de Bordeaux, Mohamed Bajrafil de celle Ivry-sur-Seine ou encore Azzedine Gaci de la mosquée Othmane de Villeurbanne. Ils proposent de mettre à disposition des pouvoirs publics leur expertise théologique

« afin de répondre à des aberrations religieuses par un éclairage théologique lorsque les arguments avancés par ces jeunes sont d’ordre religieux » et de « de mettre une foi éclairée au service de la nation pour défendre des valeurs communes et universelles, celles de la République ». Ils concluent : « Cette pratique de la laïcité est plus que jamais d’actualité. Elle nous engage tous dans les circonstances d’insécurité que nous traversons, y compris les acteurs religieux musulmans, dans la lutte contre le radicalisme et l’antisémitisme. […] Vive la République et vive la France ! ».

Face aux détracteurs du « Manifeste contre le nouvel antisémitisme », les signataires répondent que les récents crimes antisémites doivent faire réagir et constituent une atteinte à la République. Ils soulignent la nécessité de prendre ce problème à bras-le-corps et de se mobiliser au-delà des « oui mais ». La plupart ont d’ailleurs salué la tribune des 30 imams et affirment également qu’il est indispensable de lutter contre les préjugés antisémites persistants.

Article initialement publié dans la lettre LaïCités
Back To Top