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15 mars 2019 

Plutôt athées ou indifférents ? Les incroyances, tendance devenant majoritaire dans
la société française, sont plus diverses et complexes qu’elles n’en ont l’air. Les analyses de
Pierre Bréchon, professeur de science politique.

L’incroyance devient majoritaire en France, oui, mais les athées ne sont pas les plus nombreux pour autant : « l’indifférence religieuse est en fait plus répandue que l’athéisme, considéré comme une conviction plus affirmée », indique Pierre Bréchon, professeur de science politique, chercheur au laboratoire de sciences sociales PACTE de Grenoble. Ce centre de recherches pilote l’European Values Study (EVS), une grande enquête quantitative (en face à face, avec un questionnaire de 50 minutes en moyenne) menée auprès d’échantillons représentatifs de population tous les 10 ans.

EVS évalue depuis 1981 les attitudes religieuses et non religieuses, mais aussi les valeurs et les comportements dans les grands domaines de la vie : famille, sociabilité, travail, économie, politique, en France et en Europe.

Sans religion, athée, indifférent, quelle typologie ?

L’enquête EVS permet d’abord de repérer les individus qui s’affirment « sans religion » : « Ils répondent ainsi à une question sur leur appartenance institutionnelle, avec des variations selon qu’ils prennent en compte leurs origines familiales ou leur rapport personnel actuel à la religion », souligne Pierre Bréchon.

Ils forment une première catégorie au sein de laquelle se détachent deux formes d’incroyances : l’athéisme qui se démarque par l’affirmation claire de ne pas croire en Dieu, et l’indifférence, plus difficile à repérer, catégorie dans laquelle on peut trouver des « sans religion » qui disent parfois croire en Dieu ou ouverts à une forme de spiritualité. « Les indifférents disent plutôt que les questions religieuses ou l’existence ou non de Dieu ne les intéressent pas », indique Pierre Bréchon.

Les agnostiques dans tout cela ? « C’est une forme d’indifférence après une réflexion intellectuelle approfondie. Elle concerne peu de gens et le mot même “agnostique” n’est pas toujours compris, il ne figure donc pas en tant que tel dans les questionnaires ».

Depuis une quarantaine d’années, la proportion de « sans religion » a progressé en France pour atteindre 33% d’indifférents, auxquels il convient d’ajouter près de 20% d’athées en 2008. Ils sont plus nombreux chez les jeunes (près de 30% d’athées) en 2018, selon les résultats de l’enquête 2018 parus en avril 2019 . Pierre Bréchon n’observe pas d’augmentation de la pratique religieuse, excepté chez les jeunes musulmans.

Les « sans religion » sont de plus en plus nombreux à n’avoir jamais fréquenté aucun courant religieux (près de 20% soit 10% de plus qu’en 1998). « On observe un mouvement qui ne fonctionne que dans un seul sens : si la religion a été intégrée dans la jeunesse, il y a des chances de rester religieux. Sinon, adopter un courant religieux, même en fin de vie, reste rare. Il existe bien sûr des convertis, mais ils ne représentent pas plus de 2 ou 3% des répondants ».

Sans religion ne signifie pas pour autant sans aucune idée religieuse. Pierre Bréchon souligne : « Les “croyances molles” comme l’idée d’une possible vie après la mort, se maintiennent bien, même chez les sans religion. On note donc un déclin du sentiment d’appartenance institutionnel aux religions, pas des croyances au sens large. L’engagement antireligieux est devenu plus rare ».

La France dans l’Europe

Le nombre d’indifférents et d’athées en France est l’un des plus importants à l’échelle européenne. « La France, avec l’Allemagne de l’Est, la République tchèque et la Suède est l’un des pays les plus sécularisés d’Europe », indique Pierre Bréchon. Suivent des pays assez fortement sécularisés, où la proportion de « sans religion » est importante mais où les athées sont moins nombreux : l’Estonie, la Grande-Bretagne et la Hongrie.

Les autres enregistrent une majorité de personnes qui se disent religieuses. « La religiosité se maintient davantage dans les pays de l’Est à tradition orthodoxe, comme la Roumanie, la Bulgarie et l’Ukraine, et dans les pays de tradition musulmane comme la Turquie, l’Albanie, la Bosnie. La religion y reste structurante. Dans les pays de l’Ouest à tradition catholique comme la Pologne, l’Irlande, le Portugal, l’Italie ou la Lituanie, le sentiment religieux résiste, mais il arrive que la pratique s’effondre assez brusquement comme en Espagne qui connaît une sécularisation forte et soudaine sur le modèle du Québec avec la “Révolution tranquille” dans les années 1960 ».

Quelles différences vis-à-vis des valeurs ?

D’un point de vue statistique, le genre, la zone géographique, l’âge, le niveau d’études sont des variables significatives dans l’enquête. Parmi les « sans religion », on compte davantage d’hommes, de jeunes, de diplômés.

Au niveau des valeurs, les athées comme les indifférents sont selon Pierre Bréchon souvent plus sensibles à l’autonomie des individus, plus « permissifs » sur les mœurs, moins attachés aux valeurs familiales traditionnelles. Ils valorisent davantage l’égalité entre femmes et hommes. Ils sont aussi moins nationalistes, plus politisés, ils rejettent davantage les valeurs
autoritaires et la morale de principe. Dans le même temps, même s’ils sont plus souvent orientés politiquement à gauche, ils sont plutôt moins ouverts à la solidarité envers les autres.

D’autres sentiments ne varient pas en fonction de l’(in)croyance : « La xénophobie semble peu sensible à la dimension religieuse. Comme l’attachement aux valeurs démocratiques ou encore la confiance envers autrui ». « Le sentiment de bonheur est aussi le même, quelle que soit la position religieuse des individus », conclut Pierre Bréchon.


Pour aller plus loin : 

  • Le dictionnaire des athées, agnostiques, sceptiques et autres mécréants, Georges
    Minois, Albin Michel, 2012
  • Histoire de l’athéisme, Georges Minois, Fayard, 1998
  • La France des valeurs. Quarante ans d’évolutions, Pierre Bréchon, Frédéric Gonthier,
    Sandrine Astor (direction), Presses universitaires de Grenoble, avril 2019
  • Colloque du Cefrelco « Croire, ne pas croire, aujourd’hui », 27 mars. Informations
  • Sur les pères fondateurs de la loi de 1905 : www.lesmoustachus1905.fr
Article initialement publié dans la lettre LaïCités
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