Les prestataires privés de l'État et des collectivités sont-ils tenus à la neutralité religieuse dans le cadre de leurs prestations ?
Le lien entre religion et tenue professionnelle suscite des débats récurrents en entreprise, mais la question religieuse est loin de représenter le seul motif de conflit quant à la tenue vestimentaire au travail ! Celle-ci joue en effet un rôle essentiel dans les interactions sociales et professionnelles, répondant à des codes souvent normés selon le secteur d’activité, le métier ou le niveau hiérarchique.
Comment définir alors ce que l’on appelle une « tenue professionnelle » ? Et quelles sont les règles qui s’appliquent spécifiquement au port de vêtements religieux au travail ?
Qu’est ce qu’une tenue professionnelle ?
Si la plupart des salariés du secteur privé ne se voient pas imposer de code vestimentaire précis, plus de la moitié d’entre eux déclarent soigner leur apparence afin de ne pas nuire à l’image de l’entreprise. La notion de « tenue professionnelle » reste cependant floue, et elle varie selon les métiers et les environnements de travail.
Chaque entreprise qui impose un code vestimentaire doit le faire apparaître clairement, par exemple dans son règlement intérieur. Selon le Code du travail, les restrictions apportées aux libertés individuelles doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, proportionnées au but recherché et non-discriminatoires.
Les exigences vestimentaires doivent donc être fondées non pas sur des attentes sociales ou culturelles quant à l’apparence des personnes, mais sur des raisons objectives comme la sécurité, l’hygiène ou l’identification par la clientèle. Ainsi, l’imposition d’un uniforme ou d’une tenue professionnelle standardisée peut être justifiée, puisqu’elle consolide l’image de l’entreprise et facilite la reconnaissance du personnel par la clientèle.
Peut-on imposer le port d’une « tenue correcte » ?
L’employeur peut exiger le port d’une tenue correcte pour les employés en contact avec le public, afin de maintenir une image conforme à celle de l’entreprise. Par exemple, le port du bermuda ou du survêtement a pu être jugé incompatible avec certaines fonctions.
Il peut également être interdit de porter au travail des vêtements jugés indécents, susceptibles de choquer la clientèle ainsi que de perturber l’entreprise. Par exemple, l’employeur peut appliquer des sanctions pour des tenues trop révélatrices ou porteuses de messages violents, haineux ou grossiers.
En revanche, il s’agit de veiller à ce que les exigences en matière de tenue professionnelle respectent l’égalité des sexes et ne perpétuent pas des stéréotypes de genre. Par exemple, il a été jugé discriminatoire de licencier un serveur au motif qu’il avait refusé de retirer ses boucles d’oreilles, pourtant autorisées pour ses collègues féminines. De même, l’obligation faite à une employée d’entretien de porter une jupe au travail a été condamnée au motif que celle-ci n’était ni justifiée par la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché.
Le cas des signes et vêtements religieux en entreprise
La question de l’expression des convictions religieuses à travers la tenue vestimentaire portée au travail est délicate. Dans le secteur public, le principe de laïcité impose une obligation de neutralité stricte aux agents. En revanche, cette obligation de neutralité ne s’applique pas aux entreprises privées, qui ne peuvent donc pas l’invoquer pour interdire l’expression des convictions de leurs salariés.
Dans le secteur privé, si les employeurs doivent respecter la liberté religieuse de leurs salariés, il leur est tout de même possible de restreindre l’expression de cette liberté au travail, à condition que ces restrictions soient non-discriminatoires, justifiées et proportionnées. Les six critères suivants peuvent notamment justifier de telles restrictions :
- Le respect des conditions d’hygiène et de santé ;
- Le respect des conditions de sécurité ;
- La prohibition du prosélytisme abusif ;
- Le respect des missions inscrites au contrat de travail ;
- Le respect du bon fonctionnement de l’entreprise ;
- La protection des intérêts de l’entreprise.
Depuis l’adoption de la loi Travail en 2016, le Code du travail donne aux entreprises la possibilité d’inscrire une clause de neutralité dans leur règlement intérieur. La Cour de justice de l’Union européenne en a depuis encadré les modalités d’application :
- La clause doit être générale et indifférenciée : elle doit viser l’ensemble des convictions (religieuses, politiques et philosophiques) ;
- La clause doit poursuivre un but légitime, tel que le bon fonctionnement de l’entreprise, la préservation de la paix sociale, l’intérêt commercial ou l’image de marque ;
- La clause doit répondre à un besoin véritable : l’employeur doit démontrer que, sans cette clause, il subirait des conséquences défavorables compte tenu de la nature de ses activités ;
- La clause doit être spéciale : elle ne s’applique qu’au contact de la clientèle si l’image de marque est invoquée pour la justifier ;
- Un reclassement dans un poste non concerné par l’application de la clause doit être proposé, dans la mesure du possible, avant toute procédure disciplinaire.
Vigilance et rigueur des entreprises
Les entreprises doivent être vigilantes et rigoureuses dans l’élaboration de leurs règles vestimentaires, afin d’éviter toute restriction injustifiée, disproportionnée ou discriminatoire. Ainsi, la régulation de la tenue professionnelle implique de concilier les exigences de l’entreprise avec les libertés individuelles des salariés, en tenant compte des spécificités liées à son activité, à la conformité quant aux normes, à la promotion de l’égalité professionnelle ainsi qu’au respect des libertés individuelles.